Baignade modeste [PV Jeff]

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Voilà. Cela faisait peu de temps que Lula était arrivée dans le nouveau lycée, et même en réalité très peu de temps, puisqu'elle venait juste de s'y inscrire - ou plutôt, son père venait juste de l'y inscrire. Mais déjà, elle n'y était pas. Pas le premier jour, elle n'aimait pas cela. D'un autre côté, c'était le week-end, alors elle n'avait pas trop à s'en faire. L'après-lendemain, elle y serait, mais pour l'instant, elle voulait profiter des rayons du soleil qui tapaient sur le sol, sur la terre. Oui, elle adorait le soleil, parce qu'elle avait grandi avec lui, parce qu'en Italie, rien n'était plus beau que le soleil, rien n'était meilleur que sa chaleur diffuse sur sa peau de pêche. Soupirant, la jeune fille leva les yeux au ciel. Quelques cumulus épars s'y baladaient, alors que l'astre de feu brillait de toute sa splendeur. Mais le climat restait un climat japonais, si elle pouvait s'exprimer ainsi : il ne faisait pas aussi chaud qu'en Europe, ça c'était certain. Cela faisait certes sept années qu'elle habitait au Japon, mais décidément, elle préférait l'Italie, même si elle adorait ce nouveau pays, le pays de son père.

Soupirant, elle passa son sac en bandoulière autour de son épaule droite, et se leva gracieusement de son lit. Vérifiant la fermeture de sa bandoulière, Lula s'arrêta pour fermer les yeux un instant. Elle avait une envie étrange d'aller jusqu'au Lac et de s'y baigner. Certes, l'eau ne devait pas être chaude, mais elle aimait relever les défis. S'approuvant elle-même d'un mouvement de tête, la jeune fille alla dans sa salle de bain pour prendre une serviette rouge carmin et la mettre dans son sac. Puis, elle poussa la porte d'entrée de sa maison en lançant à sa mère :

- Je vais faire un tour ! Je sais pas à quelle heure je rentre !

Heureusement, cette dernière avait l'habitude des excursions solitaires de sa fille. Lula savait que si son père était là, elle aurait eu droit à au moins cinq minutes de sermons. Mais elle ne lui en voulait pas : il était comme ça, et elle l'aimait ainsi, même s'il s'avérait très agaçant parfois.

Alors qu'elle marchait de bon train vers la forêt et donc le lac, la jeune fille savourait dans son esprit les résonances des deux langues qu'elle connaissait. Deux langues complètement différentes, certes, mais qu'elle aimait autant. La bourgade dans laquelle elle résidait se décima au fur et à mesure de son avancée rapide vers le lac. Ce n'était pas très loin à pieds, alors elle n'avait pas pris la voiture : elle n'en avait aucunement l'utilité, et pensait aussi au bien de la planète. Bientôt, la lisière de la forêt se dessina devant elle, et elle s'enfonça dans le bois sans hésitation, suivant un sentier qu'elle avait déjà pratiqué des dizaines et des dizaines de fois. Au bout d'un bon quart d'heure, elle arriva enfin sur la rive nord du lac, et s'arrêta pour contempler son étendue miroitante.

Souriante, elle s'avança encore plus vers l'étendue d'eau. A deux mètres des vagues les plus courageuses, elle commença à se déshabiller tranquillement : elle savait que très peu de gens venaient par là, et surtout que comme il ne faisait pas spécialement chaud, ils préféraient les randonnées dans la forêt plutôt qu'une baignade dans le lac. Lorsqu'elle fut entièrement nue, elle s'avança, faisant trempotter ses pieds dans l'eau qui arrivait le plus loin possible sur la plage de galets. Elle s'enfonça dans les profondeurs du lac, jusqu'à ne plus avoir pieds. Le froid engourdissait ses membres, et pourtant les vivifiait, la plongeant dans une torpeur peu commune. Après une dizaine de minutes passées dans l'eau, Lula sortit tranquillement et s'étendit sur le bord de la plage pour se sécher. Elle n'avait pas pensé à ses cheveux, et ils allaient mettre beaucoup de temps à sécher...

Peut-être s'endormit-elle, peut-être que non. Toutefois, un bruit peu discret la sortit de sa transe, si on pouvait appeler cela ainsi. Un bruit qui n'avait rien de naturel, en tout cas qui ne pouvait pas avoir pour source un animal sauvage. Sans doute un humain, donc. Fronçant les sourcils, Lula se releva brusquement, et saisit la serviette qui était étendue juste à côté d'elle, pour sécher elle aussi, et se couvrit le buste, espérant que si humain il y avait, il n'avait rien vu de son intimité. Fronçant les sourcils alors qu'elle n'entendait plus rien, elle ne put s'empêcher de lancer :

- Pas besoin de se cacher, quand on fait du bruit comme ça...

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Dimanche. Un soleil resplendissant recouvrait la ville de Nagoya. Les arbres dépourvus de feuilles prenaient des couleurs claires et chatoyantes. Un air froid se faisait sentir en cette journée hivernale. Le temps idéal pour aller se balader tranquillement. Jeff était dehors depuis peu. Il marchait vite, tremblotant un peu à cause de l'air glacé. Il n'avait pas fumé depuis plusieurs jours et la simple vue d'une cigarette le ferait mourir d'envie de tirer tout un paquet. Seulement voilà, son porte-monnaie était aussi vide qu'un canyon. Il serrait sa veste en cuir, et tentait de s'approcher des quelques fumeurs qu'il voyait. Tous des inconnus. Jeff ne connaissait pas encore bien Nagoya, ne parlait pas aussi bien le japonais que l'anglais. Il s'était retrouvé au Japon rapidement, comme si son destin avait été joué au pile ou face. Mais pour l'instant, ce qu'il voulait, c'était fumer.

La première fois que Jeff avait profité d'une cigarette, c'était il y a quelques années, du temps où il habitait encore à Seattle. Là-bas, les adolescents, même jeunes, découvrent vite le bonheur de la fumée. Et si Saint ne voulait à la base que fumer occasionnellement, en compagnie de ses amis, fumer devînt rapidement pour lui une vraie drogue. On commence comme ça, avec l'envie d'avoir l'air plus classe, puis on se retrouve immédiatement piégé par la cigarette. Pour beaucoup, cela suit jusqu'au cancer.

Aux frontières de Nagoya, près d'un carrefour isolé, un homme d'une vingtaine d'années habillé bourgeoisement traversait en solitaire, tranquille et souriant. A sa main droite une Malboro Light donc Jeff raffolait. Celui-ci n'hésita pas puis se présenta à l'inconnu. Par chance il parlait anglais, et les deux hommes s'échangèrent des mots. Saint repartit avec un paquet presque entier de Malboro, content d'être tombé sur une personne apparemment bien friquée.

-Hope I'll see ya again.

Jeff voulait maintenant profiter le mieux possible de ses garrots. Il voyait au loin la forêt qui prenait une allure magnifique avec ce soleil. Bercé par la beauté du paysage, il y fut aussitôt attiré, et reprenant une marche plus tranquille, il s'y aventura.

Dans la forêt la paix reposait. Pas un bruit si ce n'est le sifflement tranquille de la nature. Un vent léger agita la longue chevelure noire de Jeff. Plus loin s'étendait un lac, où l'eau paraissait claire et nette. Le garçon avait presque envie d'aller boire dedans, mais pour l'heure il voulait s'occuper de ses cigarettes. Alors il se posa plus loin, regardant de bas les hauts arbres d'hiver. Il sortit son briquet et alluma d'un geste simple sa Malboro, qu'il tira à petits coups. Rien ne pouvait le déranger. Personne ne se présentait aux alentours, Saint se retrouvant seul avec la nature. Néanmoins, quelques traces de pas se faisaient remarquées. Mais quelle importance ?

Jeff tira encore, sa cigarette s'entamant vite. Il profitait le mieux possible de chaque bouffée de fumée, de façons à ce qu'elles aient toutes l'air d'un moment de jouissance éternelle. Dans sa tête le jeune rockeur se déliait de tous ses souçis, éclairé par la lumière de ce charmant soleil d'hiver. Déjà une cigarette arrivait à sa fin. Mais Jeff n'hésita pas à en sortir une deuxième et continuer sa ballade. Cependant, alors qu'il fumait, il entendit l'eau s'agiter plus loin, quelque part dans le lac. Des bruits trop longs et percutant pour que ce soit un poisson qui nage. La curiosité de Jeff poussa celui ci à s'aventurer pour découvrir ce qui se manigançait.

Des vêtements traînaient par terre. Jeff les regarda étrangement, aspirant encore de la fumée. L'eau s'agitait encore. Alors il tourna la tête un peu plus loin, à moitié éblouit par la lumière du soleil. Puis il distingua une silhouette humaine baignant dans l'eau. Saint ne comprenait pas. Une personne qui se baignerait ici, alors que l'air est froid et qui plus est sans se couvrir ? Doucement le soleil bougeait, laissant à Jeff l'occasion d'en voir un peu plus de la personne. C'était une fille aux longs cheveux, avec un corps joliement taillé, qui profitait du calme du lac. Vite le garçon s'accroupit, tentant d'en savoir plus sur la mystérieuse demoiselle. Celle ci se baignait avec calme.

Etait-elle japonaise ? Elle n'avait pas l'air totalement asiatique: des traits européens se faisaient sentir sur son visage. Peu importe, les réflexions qui défilèrent dans la tête du jeune homme ne se préoccupaient que de peu de choses. Il soupirait.

-Qu'est ce qu'elle est jolie.

Jeff The Saint avait l'impression d'être dans un rêve. Alors qu'il retrouvait le plaisir des cigarettes, il voyait devant lui une jeune inconnue au corps incroyable se baigner devant lui. Peu importe les raisons de son arrivée. Le garçon profitait de ce décors, ne voulant perturber la tranquillité de l'endroit. Mais dans un geste trop brusque, il envoya son mégot au loin, agitant le buisson dans lequel il se cachait. Il voyait la fille se retourner, puis s'inquiéter, avant de revêtir sa serviette. Aye ! Le rêve devait être trop beau pour Jeff. Qu'est ce qui allait lui arriver maintenant ? Allait-on lui crier dessus, lui faire la morale une fois de plus ?

- Pas besoin de se cacher, quand on fait du bruit comme ça...

Jeff rougit pendant un moment, puis voulant éviter de paraître pour un pervers, il se releva, face à face à la jeune fille, tentant de reprendre son calme. Quelle excuse lui raconter ? Dans ce genre de situations, Jeff ne savait jamais si il devait rester sincère ou pas. Alors il prit du temps avant de prendre la parole. En attendant, il regarda la demoiselle droit dans les yeux. Celle ci n'avait pas l'air désagréable. Il fallait juste éviter les malentendus. Finalement Jeff passa sa main dans les cheveux, soupira et dit :

-Je me baladais par ici. Je savais pas qu'il y avait quelqu'un. Tout ce que je cherchai, c'est un endroit tranquille.

A sa voix il paraissait embarrassé et gêné de ne pas pouvoir donner d'explications plausibles. Aussi, comment peut on avoir envie de se baigner dans un lac où chacun peut se balader ? Jeff ignorait la nature de la personnalité de cette inconnue et était curieux d'en savoir plus. Il marcha un peu avant de ressortir une cigarette et de reprendre la parole.

-Tu n'as pas peur de te baigner comme ça ? Tu n'as pas peur d'avoir trop froid, ou de rencontrer des inconnus ?

Décidément, Jeff ne savait rien des gens de cette ville et n'était sans doute pas aux bouts de ses surprises.

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Lula attendait que celui ou celle qui avait fait tout ce bruit se montrât, ce qui ne tarda pas. C'était un garçon, d'environs son âge, elle aurait dit. Le détaillant sans gêne, la jeune fille nota ses longs cheveux noirs et ses habits un peu rapiécés. Et encore plus, cette cigarette qu'il avait dans la main. Un léger frisson remonta le long de sa colonne vertébrale, tandis qu'elle entendait quelques paroles émaner de l'inconnu. Il semblait gêné, et se trouvait des excuses, mais cela fit sourire la jeune fille. Soupirant, elle sut qu'il l'avait donc vue toute nue, et elle resserra un peu plus les pans de la serviette autour de son corps encore légèrement humide. Ne se redressant pas tout à fait, pour ne pas dévoiler d'autres parties d'elle-même, la jeune fille tourna la tête vers le garçon, l'air intéressé.

Un endroit tranquille. C'était sûr, il n'y avait pas mieux qu'ici, pour trouver la tranquillité. C'était paisible, doux et accueillant. C'était la nature après tout, dans ses meilleurs jours, même. Il s'avança vers elle avec une cigarette à la main, tirant une légère grimace à Lula : elle n'aimait pas cela, non pas parce que c'était mauvais pour la santé, c'était quelque chose dont elle se fichait, ni parce que cela sentait mauvais, parce qu'elle ne trouvait pas spécialement, mais juste parce que cela pouvait mettre feu à la forêt. Et elle n'avait aucune envie que ce havre de paix mourût à cause d'une simple cigarette. Elle sourit lorsqu'il lui parla à nouveau, posant les questions cette fois-ci qui faisaient mouche, sans plus détailler la raison de sa venue ici, ni ce qu'il avait réellement vu.

Lula soupira. Oui, elle était folle, mais ça elle le savait déjà. Déjantée, même. Elle suivait un peu trop ses envies et impulsions, quelles que fussent les conséquences de ses actes. Pour ce qui était de rencontrer des inconnus, elle aurait préféré ne pas en rencontrer, c'était vrai. Et elle avait été persuadée que personne ne viendrait dans la forêt ou près du lac, car l'air était plus frai, même si le paysage était encore plus beau que dans la forêt. Papillonnant des paupières, la jeune italienne se redressa un peu, faisant attention à ce que sa serviette restât bien en place, ne voulant pas donner une nouvelle occasion au garçon de se rincer l'œil. Certes, on voyait ses jambes, mais ce n'était pas ce qui était le plus... regardé par les hommes, n'est-ce pas ?

- Non, je n'ai pas peur de me baigner comme ça. Ni d'avoir froid. Je sais que l'eau est froide, mais c'est une sorte de défi que je lance à moi-même. Enfin...

Faisant une légère pause, elle attrapa d'une main la boule de vêtements qu'elle avait laissée un peu plus loin et discrètement en sortit ses dessous, pour les enfiler rapidement sous sa serviette. Lorsque ce fut fait, elle se redressa un peu plus, laissant par là la serviette glisser, puisque ce qu'elle voulait cacher l'était sous les vêtements.

- Et je dois dire que je ne pensais pas rencontrer d'inconnus, avec ce temps. Mais apparemment, je me suis trompée... De toute manière c'est trop tard maintenant.

Se relevant un peu plus, la jeune fille s'appuya sur son bras droit pour regarder le garçon. D'un tapotement de la main, elle l'invita à venir s'asseoir à côté d'elle. Après tout, maintenant qu'il était là, il n'allait pas repartir, si ? Elle serait calme et tranquille, puisque c'était ce qu'il cherchait... Il fallait juste qu'elle retrouvât ses habits pour être tout à fait à l'aise, même si elle se sentait déjà bien mieux avec ses sous-vêtements : après tout, c'était comme un maillot de bain, non ?

- Tu cherchais un endroit tranquille... Pour fumer ? Pour fuir le monde ?

Lula regardait l'horizon. Le lac avait quelques vaguelettes en son sein, ce qui le rendait presque vivant. Les arbres, implantés sur ses rives, donnaient un aspect un peu elfique à la scène, tandis que le chant des oiseaux posait sur l'endroit une aura de calme et de plénitude. Soupirant légèrement, Lula ferma les yeux un instant.

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Le Soleil ne s'arrête jamais de briller de mille feu. Face à face à la jeune inconnue, Jeff se devait de rester sobre et clair, lui qui d'habitude aimait parler de lui, quitte à en faire de trop. Mais pour l'heure, il valait mieux éviter les kitcheries. Encore le froid faisait son effet et le garçon avait du mal à rester en place et à ne pas trembloter. Pour un jeune de son âge il restait fragile et sensible au froid. Mais la présence de cette fille le réchauffait déjà dans son coeur.

D'ailleurs la fille, sans prendre le temps de se présenter, répondit clairement aux réponses de Jeff. Ce n'était donc pas le genre de personnes à s'en prendre à n'importe qui. Cette discussion sans dispute ne faisait que valoriser la tranquillité de la forêt. La demoiselle disait que le froid ne la dérangeait pas, et que le fait de se baigner ainsi était comme un défi pour elle. Saint avait du mal à comprendre cette dernière remarque. Pourquoi se lancerait-on des défis à soi-même dans ces conditions ?

Jeff tira légèrement pour déguster cette troisième cigarette. Il n'avait plus envie de fumer beaucoup, et devait se fixer des limites à lui-même. Déjà qu'un type sympa lui avait donné la moitié de son paquet, il devait limiter la consommation. Il regarda d'un air intéressé la fille qui se rhabillait. Si il paraissait troublé quand il l'a vue dans l'eau, il prenait un air tranquille en la voyant se revêtir devant lui. Enfin la fille lui proposa de s'asseoir, et Jeff ne déclina pas la proposition. Les deux jeunes personnes se retrouvaient côte à côte dans ce morceau de paradis perdu. Toujours le soleil claquait et le lac prenait des formes ondulées agréables au regard.

- Tu cherchais un endroit tranquille... Pour fumer ? Pour fuir le monde ?

A l'entente de la question Jeff tourna la tête pour regarder la fille d'un air intéressé. La question peut paraître stupide mais venant d'une inconnue, cela pouvait en dire long sur son caractère. Alors le gamin de Seattle sourit et étendit ses jambes au sol. Comme d'habitude il laissait un peu de silence avant de répondre; les gens écoutent plus attentivement quand on les fait attendre. Puis sans faire de grand gestes, regardant droit de vent lui, il se confessa.

-On peut fumer nulle part dans cette ville. Et puis je préfère être tranquille, comme isolé du monde. Ca permet de s'abandonner dans ses pensées, seul avec son imagination.

Le garçon regardait aussi la fille pour savoir si elle comprenait ce qu'il racontait. Il ne voulait non plus passer pour un vieux qui n'a plus les idées en place. Il sourit finement et se débarrassa de son mégot.

-Je savais pas que j'allais trouver de jolie fille ici. Ca rend l'endroit encore plus adorable.

Il se laissa aller, profitant de sa rencontre dans ce paysage sans frontières.

-Au fait, je m'appelle Jeff. C'est pas dur à retenir.

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Le silence fut la première réponse à la question de Lula. Cette dernière sourit au ciel, pendant ce temps, le contemplant. C'était fou tout ce que l'on pouvait voir dans le ciel, et encore plus lorsque quelques cumulus épars s'y baladaient, comme ce jour-là. Soupirant légèrement, elle tendit l'oreille à la réponse de son interlocuteur. Il n'avait pas dit le mot 'fuir' mais le mot 'isoler'. Lula savair que cela n'était pas pareil, évidemment, mais là en particulier, cela avait la même conséquence. Il n'était plus dans la société. Il ne pouvait pas fumer dans la ville...? Cette réflexion lui fit froncer les sourcils. Pourquoi cela ? Elle ne comprenait pas. Peut-être qu'un 'tranquille' était sous-entendu ? Sans doute, et elle ne s'attarda pas là dessus.

Ainsi, il pensait être seul avec son imagination. Lula ne voyait pas les choses comme ça. Cela permettait d'être seul, certes, mais aussi entouré d'êtres de confiance : les arbres ne nous tombaient pas dessus pour rien, et les animaux ne nous attaquaient pas sans raison. La nature était quelque chose qu'elle avait toujours énormément aimé, et de laquelle elle se rapprochait énormément dès qu'elle en avait l'occasion. Il était simplement question d'évasion, après tout. Tout le reste n'était qu'interprétation, parce que tout un chacun est différent, a une expérience différente de la vie, et donc une manière de percevoir les choses différemment de son voisin.

Lorsque le garçon se débarrassa de son mégot, elle ne put s'empêcher de suivre la trajectoire du projectile jusqu'à ce qu'il tombât sur le sol. Mais il tomba sur la plage de galets, et elle fut rassurée. Poussant un soupir qui traduisait cette régénération, elle posa ses yeux sur la silhouette du garçon, le détaillant un peu plus. Lui souriant, elle passa ses bras autour de ses jambes et serra ses cuisses contre sa poitrine, comme l'aurait fait une enfant.

Faisant comme si elle n'avait rien à faire du début de la phrase, elle ne put que hocher la tête pour montrer ce consentement à ce qu'impliquait la fin de cette même phrase de l'inconnu. Oui, c'était beau ici, et elle aimait aussi vraiment cet endroit. Cela avait une sorte d'effet bénéfique sur elle, la rendant plus calme et plus posée, alors qu'habituellement, c'était une vraie bille d'énergie. Soupirant encore légèrement, elle tourna son visage vers celui du garçon, qui venait de se présenter en donnant son prénom, Jeff. En effet, ce n'était pas difficile à retenir, c'était certain. Et Lula trouvait même que cela lui allait pas trop mal. Parfois, les prénoms ne correspondaient pas du tout à la personne qui les portait, mais bien souvent, il y avait tout de même une similitude.

- Moi, c'est Lula. Enchantée.

Le détaillant encore un instant, Lula ne put s'empêcher de remarquer qu'il n'était pas japonais de pure souche. En tout cas, au moins un de ses parents était d'une autre nationalité qu'Asiatique-Orientale. Fronçant un peu les sourcils, elle redressa légèrement le menton et lui demanda :

- Tu viens d'où ? Tu n'es pas japonais, n'est-ce pas ?

Lâchant une longue expiration, elle regarda ses mains, dont la peau avait été marquée par les cailloux sous elle, puisqu'elle s'appuyait dessus. Ce formait des rigoles assez amusante sur la paume de ses mains, et elle eut un léger sourire. Ramenant ses jambes sous elle, elle attrapa d'une main son débardeur et l'enfila tranquillement, attendant une réponse. Puis, toujours sans gêne, elle mit la légère jupe qu'elle avait enfilée le matin même et s'assit sur le côté, touchant presque Jeff.

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Alors cette fille s'appelait Lula. Jeff se rendait compte que le prénom ne faisait pas vraiment japonais, tout comme son physique qui avait des formes particulières. Apparemment il n'était pas le seul à avoir des origines américaine ou européenne dans ce lycée, et cela le satisfaisait. Le temps passait assez rapidement depuis la rencontre, mais le temps lui ne changeait point. Quelques oiseaux traversaient le ciel. Le décor était toujours aussi charmant.

Jeff ne savait pas si il faisait bonne impression. Jusqu'ici la conversation n'était pas très ouverte et il aurait aimé la pimenter comme il savait le faire. Alors qu'il réfléchissait à quelconque remarque sympathique à raconter, c'est Lula qui prit la parole en étant persuadé que le garçon aux cheveux noirs n'était pas Japonais. Dans le mille. Cela se voyait après tout. Les Japonais de la ville n'ont pas tendance à s'habiller avec des jeans rapiécés ou des vestes en cuir. Certains portent les cheveux longs, mais Jeff avait l'habitude de les coiffer n'importe comment de manière à leur donner une allure encore plus longue. Et puis son visage était parfaitement celui d'un américain. Seule sa couleur de peau laissait un doute sur son origine.

-C'est vrai, je suis vient pas d'ici. Avant j'habitais Seattle aux Etats-Unis. C'est la plus belle ville du monde que je connaisse et j'y ai passé des moments incroyables.

Il était toujours assis à côté de Lula qui se rhabillait tranquillement. Resistant à l'envie de fumer une quatrième Malboro, il préféra s'étirer les jambes comme un chat qui vient de se réveiller. Il regardait parfois Lula et il avait l'impression d'un vide dans ses réponses, alors il continua à parler.

-Ma mère qui est japonaise m'a emmené ici. Moi, le Japon, je comprends pas comment ça marche. C'est vrai que les paysages sont plus jolis et resplendissants. Mais dans la ville, les gens ne pensent qu'à travailler, à un rythme fou !

Jeff regarda Lula attentivement avec toujours cet air calme et relaxé. De temps à autre il regardait le ciel comme le faisait aussi la fille, ou il traînait ses pieds par terre.

-Le travail, je l'évite comme je peux.

Une atmosphère calme régnait sur le bois. Ce genre d'après-midi plaisait à Jeff. Il n'avait pas d'inquiétude à se faire, aucune limite de temps. La nature l'accueillait chaleureusement, alors le garçon en profitait comme il pouvait. Même si l'air était frisquet, il oubliait ses soucis avec cette jeune fille, Lula. Pas à cause de ce que cette dernière disait, mais le Jeff aimait la présence d'une autre personne. Il bailla un coup, puis comme il parlait trop :

-Toi non plus tu n'as pas l'air d'être d'ici. Tu arrivée récemment ?

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Donc elle avait vu juste : il n'était pas japonais. En tout cas, pas de pure souche, c'était certain. Seattle, aux Etats-Unis, cela lui disait quelque chose, mais elle aurait été bien incapable de montrer où cela se trouvait, en Amérique, cette ville-là. Sans doute près de l'Océan, mais duquel ? Elle le voyait un peu plus côté Ouest, au Nord, mais autant se trompait-elle sur toute la ligne. Oui, c'était même certain qu'elle se trompait. Sans doute aussi n'était-elle pas d'accord avec sa notion de plus belle ville du monde, puisque pour elle, c'était Rome sans conteste. Mais il fallait bien avouer qu'elle n'avait pas visité d'autres grandes villes du monde mis à part cette Capitale d'Italie, alors elle ne se prononça pas tout de suite là dessus.

Il continua à parler, mettant Lula encore plus à l'aise qu'elle ne l'était déjà. Se positionnant plus confortablement, elle écouta avec attention les dires du jeune homme, qu'elle détaillait toujours. C'était visible, après tout, qu'il n'était pas japonais. En tout cas, avec les habits qu'il portait, il n'y avait pas de doutes... Enfin, sauf peut-être avec quelques japonais qu'elle avait pu croiser une fois dans Tokyo, près de l'immense parc au nom à rallonge. Ceux-là aussi s'habillaient bizarrement. Pas comme cela, certes, mais bizarrement, tendant même à porter une garde-robe féminine pour certains. Un sourire passa sur les lèvres de Lula, qui se redressa encore un peu.

Il était vrai qu'elle avait l'impression, depuis les quatre ans qu'elle vivait au Japon, que les japonais ne pensaient qu'au travail. Elle n'avait pas du tout l'habitude de cela, même si elle savait que son père avait toujours travaillé beaucoup et bien, mais il parvenait néanmoins à garder assez de temps pour elle et sa mère. Mais tout autour d'elle, tout le monde était bourreau de travail, et cela lui faisait un peu peur, elle devait bien l'avouer. Parce qu'en Italie, d'une part, ils n'avaient cours que le matin. Premier choc avec la civilisation japonaise. Et d'autre part, sa mère était une peintre connue, elles s'en sortaient très bien à elles deux au début sans travailler de trop. Et comme elle n'avait jamais vu sa mère réellement travailler, elle n'en avait pas l'habitude non plus...

Lâchant un léger soupir, elle rit à la phrase isolée du jeune homme. Elle aussi elle essayait, parfois, d'y échapper. Mais elle avait trop mauvaise conscience et elle culpabilisait trop par la suite si cela n'était pas fait correctement et dans les temps, alors elle se forçait à le faire. Et finalement, il lui retourna la question, et elle sourit à cela. Elle s'y attendait un peu, c'était normal après tout, de vouloir aussi en savoir plus sur l'autre; Elle était comme ça, n'aimant pas forcément parler d'elle mais adorant écouter les autres le faire.

- En effet, je ne suis pas d'ici. Je suis arrivée au Japon il y a quatre ans, lorsque j'en avait douze. J'ai passé toute mon enfance en Italie, près de Rome. C'est elle la plus belle ville du monde !

Adressant un léger clin d'oeil au garçon, la jeune fille releva le visage vers le ciel, appréciant les légers rayons du soleil, avec l'air frai qui balayait doucement sa peau douce.

- Ma mère est Italienne, et mon père Japonais. J'ai vécu mes quatre premières années en Italie avec seulement ma mère, car il n'a pas pu réussir immédiatement à se faire transférer, et qu'il n'avait pas le temps de venir nous voir. Puis, il a réussi à se faire muter, et on a tous vécu en Italie. Mais sa société a coulé, et en Italie, et au Japon, et on est arrivés à Nagoya il y a peu de temps...

Elle avait un peu beaucoup raconté sa vie. Mais après tout, quelle importance ? Ils étaient là, à parler, tranquillement, sereinement, et il n'y avait vraiment pas de quoi s'en faire...

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