Fascination, encore et toujours [PV Amwn]

Parvenu sur le toit, Lawrence resta tout à coup pétrifié. Pas l’air foudroyé, pas étonné, pas effrayé, rien. Juste immobile. Comme une statue de marbre. Sauf qu’il ne ressemblait pas à Apollon. Il fixait la main tendue, le regard vague. Depuis quand lui tendait-on la main ? Personne ne la lui avait jamais tendue. Oh, si, sans doute, au début. Quand il était petit, quand son crâne venait tout juste de fracasser son cerveau. Mais en grandissant, quand ses camarades de classe avaient commencé à s’intéresser aux questions de sentiments et que lui, bien incapable de les imiter, avait été laissé de côté, plus personne ne lui avait tendu la main comme ça. Stop, stop, stop, Lawrence Endleton. Voilà qu’il se mettait à ressasser les choses déplaisantes. Déplaisantes ? Depuis quand étaient-elles déplaisantes ? Depuis quand ressassait-il les choses déplaisantes ?

Troublé, il hésita. Il avait l’air particulièrement idiot, ou particulièrement robotique, immobile sur la dernière marche et droit comme un i. Son regard fixait toujours la main que lui tendait Amwn. Amwn. Pourquoi ressentait-il toutes ces sensations quand il le fixait ? Ça avait commencé deux semaines auparavant, quand il l’avait aperçu pour la première fois. Explosion de couleurs dans un monde en noir et blanc. Persistance rétinienne ; image subliminale imprimée dans la mémoire. Et le même rituel pendant deux semaines. Lawrence n’était pas timide. La timidité, la gêne, c’était des sentiments annihilés par son cerveau en miettes. Mais curieusement, il avait été bien incapable d’aller lui parler. Jusqu’à ce que cette occasion arrive… La laisser passer maintenant ?

Sans plus hésiter, il glissa sa main dans celle d’Amwn et se laissa entraîner sur le toit. Le vent vif le saisit, et il remonta le col de sa veste. Le rire d’Amwn le pétrifia de nouveau mais le fit sortir de la semi torpeur dans laquelle il se trouvait. Il s’avança donc sur le toit, refermant la porte derrière lui, et fit quelques pas. Et comme toujours, il resta gauchement là, raide comme un piquet. Même pas capable de faire un pas, même pas capable de dire un mot. Juste un piquet. Il fixa Amwn avec intérêt, avant de poser l’une des questions qui se bousculaient dans son esprit.

« Pourquoi tu ne portes pas de chaussures ? »

Question idiote. Il en avait plein d’autres à poser, mais celle-ci l’intriguait. Bon, il restait toujours l’autre. Pourquoi es-tu toujours là, dans ce couloir, en même temps que moi ? En même temps que lui, oui. Et pas de la façon dont les autres étaient là en même temps que lui. Il était là… comme si c’était pour lui…

Il s’approcha de Frog, se baissa pour caresser doucement sa frimousse. C’était une question anodine, qu’il venait de lui poser, et pourtant la réponse lui importait. Il leva les yeux, un regard presque intimidé s’il avait pu l’être, pour observer Amwn. Il sentit ses lèvres s’étirer. S’étirer ? Un sourire… ? Son cœur se mit à cogner, plus fort que d’ordinaire. Parce que ce n’était pas l’un de ces faux sourires de politesse qu’il faisait d’ordinaire. C’était un vrai sourire. Léger, presque imperceptible. Mais un sourire. Et sincère, pour une fois.

« Si mes questions t’embarrassent, tu n’es pas obligé d’y répondre… »

Il se redressa, s’approcha d’Amwn. Sa main se leva pour attraper une mèche des cheveux d’Amwn ; ces étranges cheveux, cette couleur étonnante, ce bonnet perpétuel… Il observa la mèche qu’il tenait du bout des doigts. Perdu dans sa contemplation rêveuse, il finit néanmoins par reporter son regard vers celui du garçon. Et vlan. Le cœur repartit pour une danse frénétique. Comme un vieux papou autour d’un feu de camp en pleine jungle. La jungle en question, c’était Amwn tout entier…

« Je… »

Il n’y avait pas de fin à ce début avorté de phrase. Lawrence secoua la tête pour le signifier. Badam. Badam. Et un papou ne danserait pas aussi vite.